Banlung et le Ratanakiri
Dimanche sept octobre, Jean-Noëlle sortent du bus à Stung Treng après trois heures de route depuis Don Det au Laos. Comme souvent, le bus ne s’est pas privé de nous abandonner au bord de la route principale, c’est-à-dire à plus de deux kilomètres du centre-ville. C’est parti pour un peu de marche en supportant nos sacs à dos. Nous arrivons à la Riverside Guesthouse sans encombre grâce à N. qui a empêché J. de marcher sur un serpent mal en point. Avant de déjeuner, nous nous renseignons sur le prix des excursions pour voir les dauphins du Mékong. Cette deuxième tentative est aussi un échec, les prix allant de cinquante à cent dollars en fonction de la formule. Comme il serait également possible de les voir à Kratie (prononcez « kratché »), nous abandonnons cette piste et c’est donc parti pour une après-midi glandouille à la guesthouse.
Le lendemain, nous quittons Stung Treng en minivan pour rejoindre Banlung en trois heures de route. Nous avons choisi cette destination comme point de départ d’un trek dans le réputé parc national de Virachey dans la province du Ratanakiri, au Nord-Est du Cambodge. Nous posons nos sacs au Banlung Balcony au bord du lac de la ville. Au milieu de notre étude de marché pour les treks, nous faisons une pause au POV Socheat où nous dégustons notre premier lok lak, spécialité nationale. Il s’agit de bœuf sauté en sauce et cette première rencontre s’avère tout à fait réussie. Nous optons finalement pour le trek de trois jours de Parrot Tour (pour cent dollars chacun), tant la présentation du vendeur est convaincante. Au fait, au Cambodge, on paie en dollars la grande majorité de ses dépenses. Un dollar est toujours et partout égal à quatre-mille riels, c’est plus simple comme ça.
Nous partons ensuite à pied jusqu’au lac Yeak Lom situé à quatre kilomètres de la ville. Belle balade ! Il s’agit d’un lac volcanique de plusieurs centaines de mètres de diamètre encerclé par la forêt et d’une couleur vert émeraude (qui ne rend pas du tout en photo). Nous sommes accueillis par les cris et les rires des familles et groupes d’adolescents cambodgiens qui viennent y pique-niquer et s’y baigner sans oublier leur gilet de sauvetage. Nous choisissons un ponton peu fréquenté et plongeons dans l’eau qui s’avère tiède. Nous rentrons, toujours à pied (re-belle balade) à notre auberge, avant de nous rendre au Coconut Shake Restaurant où nous dégustons le meilleur coconut shake que nous n’ayons jamais bu (et l’un des meilleurs fruit shakes tout court). Changeons de paragraphe pour lui rendre hommage.
Le lendemain, nous louons une moto pour nous rendre aux alentours de Bokeo. Premier arrêt aux mines de pierres semi-précieuses. A défaut de véritables mines, des puits sont creusés dans le sol. Ceux en activité sont protégés par une bâche. Des hommes descendent des seaux grâce à une poulie pour récupérer de la terre, que d’autres trient à la main à la recherche des fameuses pierres. Ce travail est difficile à cause de la chaleur étouffante. Nous partons ensuite pour Andong Meas, village fluvial, dans l’espoir de visiter un cimetière traditionnel. Malheureusement nous rentrons sans en avoir trouvé aucun et apprenons qu’il fallait traverser la rivière. Nous avons en tout cas profité des paysages magnifiques, mais très différents et moins beaux que ceux du Laos. De retour à Banlung, Jean-Noëlle ne peuvent résister à un deuxième coconut shake que nous savourons face au soleil qui se couche sur le lac.
Mercredi matin, nous quittons Banlung Balcony pour trois jours de trek dans le parc national de Virachey. L’auberge ressemble à une gigantesque villa de bord de mer dans laquelle on viendrait passer des vacances entre amis ou en famille. Le grand billard et la télé écran plat avec ses nombreux DVDs gravés permettent de s’occuper une fois la nuit tombée. Le propriétaire, un retraité occidental, ajoute au charme du lieu. Après une heure de moto, Jean-Noëlle arrivent enfin à la rivière que nous devons traverser pour atteindre le parc. En chemin, nos deux chauffeurs nous ont décrit quelques caractéristiques des mœurs des khmers et de certaines ethnies. Nous remontons la rivière pendant une petite heure en compagnie de Tomy, vingt-et-un ans, notre guide pour le trek. Une fois à terre, nous rejoignons notre ranger chez qui nous déjeunons.
L’après-midi qui suit se résume à cinq heures de marche au milieu de paysages variés : forêt de type occidental, clairières, jungle, rizières, etc. Nous traversons même une rivière à la nage, un peu surpris par la puissance du courant. Heureusement, nous sommes d’excellents nageurs ! Un peu avant la tombée de la nuit, nous parvenons enfin à la cascade près de laquelle nous allons bivouaquer. Nous nous y baignons rapidement afin de nous rafraichir. Et puis ça fait douche, aussi ! Pour le dîner, notre ranger nous a concocté une spécialité ethnique : dans un bambou transformé en cocotte minute, il a fait cuire des légumes, du porc et des herbes aromatiques. Le résultat est très réussi. Nous nous installons ensuite tous les quatre à l’intérieur de nos hamacs-moustiquaires : nous voilà transformés en bananes militaires pour la nuit !
Jeudi matin, nous partons pour deux heures trente de trek dans la jungle jusqu’à rejoindre la rivière en passant par une montagne depuis laquelle nous profitons d’un magnifique panorama. Nous déjeunons tranquillement puis, tandis que notre ranger part à la recherche de longs bambous, Tomy et Jean-Noëlle jouent aux cartes. C’est l’occasion de discuter avec lui un peu plus que d’habitude. Il nous apprend notamment que les tribus ethniques n’aiment pas aller faire leur marché en ville car les commerçants chinois passent leur temps à les escroquer. En effet, les ethnies ne connaissent pas la valeur pécuniaire des biens qu’ils achètent. Et Tomy de conclure dans un grand éclat de rire que si les Chinois ne sont pas aussi riches en Europe qu’au Cambodge c’est parce que, la loi étant plus forte, ils ne peuvent pas agir ou corrompre en toute impunité.
De retour de la jungle, notre ranger commence à assembler la douzaine de bambous de six mètres de long qu’il a coupés. En effet, la prochaine étape de notre voyage est une descente de la rivière sur un radeau en bambous. Lors de la confection du radeau par notre ranger nous remarquons sa dextérité avec le bambou et la multitude de façon dont on peut l’utiliser. En effet, le bambou peut servir à la fois pour du mobilier, un mur, une cuillère, un plat, une cocotte minute, de la ficelle, une touillette, un échafaudage, et un radeau ! Nous descendons finalement une bonne heure sur la rivière, pas franchement au sec mais pas trempés non plus. Arrivés à des rapides, nous descendons du radeau pour rencontrer la famille qui nous accueille pour la nuit.
Ils sont quatre : le père, quatre-vingt ans et très souriant, la mère, quarante-cinq ans et tout aussi accueillante et les deux petites filles, très timides surtout quand N. se trouve à proximité. Pour nous divertir Tomy nous propose de cueillir du riz avec le père pendant cinq minutes puis de nous baigner/laver dans la rivière avant que la nuit ne tombe (Amélie ?). Nous nous réunissons ensuite dans la cuisine/salle à manger/chambre à coucher. Il n’y a pas l’électricité, nous nous éclairons donc grâce au feu, à deux bougies et à notre lampe de poche. Celle-ci, achetée en Indonésie, éclaire de deux façons différentes, au loin ou autour, ce qui intrigue beaucoup notre hôte. Face à son sourire édenté, nous finissons par la lui offrir. Ce sera un remerciement pour la nuit, les cigarettes locales (du tabac roulé dans une feuille d’arbre encore verte), les bananes bouillies et surtout le jar wine. Il s'agit d'une jarre remplie de riz fermenté et de feuilles d’arbres au goût sucré dans laquelle on verse de l’eau. Celle-ci récupère l’alcool et le goût de la mixture par gravité. On plonge deux pailles en bois dans la jarre et nous devons boire un bol d’eau chacun. Impossible de tricher, un bol d’eau sera reversé pour vérifier le niveau. Au deuxième tour, il est possible de boire en duo, car même si l’alcool est doux, il peut être traitre. C’est l’occasion d’échanger beaucoup de sourires avec nos hôtes qui nous gâtent et décident finalement qu’ils sont assez à l’aise avec nous pour dormir dans la même pièce, ce qui n’était pas prévu au départ. On se couche joyeux après cette expérience inoubliable.
Vendredi matin, nous petit-déjeunons avec la famille puis montons jusqu’à un superbe panorama sur les montagnes environnantes tandis que notre ranger renforce le radeau en bambou. Nous le rejoignons ensuite en aval des rapides du dragon blanc, nommées ainsi car certains disent y avoir vu un dragon blanc avant de tomber gravement malades. Une fois à bord, nous naviguons pendant deux heures trente sur une large rivière bordée par la jungle. C’est très apaisant et nous sommes bercés par les cris des oiseaux. Les passages de rapides sont rafraichissants et notre guide Tomy rit toujours autant !
Nous déjeunons à nouveau dans la maison de notre ranger qui élève de nombreux porcs, poulets, et enfants au milieu d’une forêt d’anacardiers. Sachez que notre ranger vend un dollar un kilogramme de noix de cajou (fruit de l’anacardier). Quand on connaît les prix chez nous, on ne plaint pas les intermédiaires ! Après avoir dit adieu à notre ranger, Jean-Noëlle et Tomy se mettent en route pour deux heures de marche sur un chemin de terre qui nous mène jusqu’au point où nous devons traverser la rivière. De l’autre côté nous attend le frère de Tomy qui nous avait emmenés en moto à l’aller. Chacun prend place derrière son conducteur favori et nous arrivons une heure plus tard à l’auberge où nous pouvons enfin prendre une vraie douche ! Au coucher du soleil, nous buvons notre dernier coconut shake en dégustant quelques brochettes au bord du lac.
Avant le dîner, Tomy et son petit frère Sako qui étudie le français au lycée viennent nous chercher au Banlung Balcony en moto. C’est l’occasion de préciser que la fratrie est composée de quatre membres. L’aîné est marié et attend un enfant, c’est lui qui nous a emmené et ramené en moto, il est guide également. Le second, excellent vendeur, est celui qui tient la boutique. Le troisième est Tomy, sans doute le plus joyeux de tous. Sako, le benjamin, est le jeune francophone que nous venons de rencontrer. Tomy et Sako nous emmènent donc dîner au bord du lac pour nous faire découvrir le Bunchao, délicieuse spécialité cambodgienne : une galette de riz et d’œuf fourrée à la viande que l’on agrémente de salade, menthe et autres herbes aromatiques avant de la tremper dans une sauce pimentée à la cacahouète. Nous les remercions pour cette super trouvaille.
Mais ça n’est pas pour cela que nous passons la soirée avec eux. En effet, pendant trois jours, les Cambodgiens fêtent leurs morts (P’Chum Ben, l’équivalent de notre Toussaint) en priant et en leur faisant des offrandes à la pagode. C’est là que nous nous rendons ensuite. Ca ressemble à une grosse kermesse avec chamboule-tout, fléchettes, stands de restauration, ballons, bonbons, et bien sûr une piste de danse. Un véritable mur d’enceintes crache une musique à casser les tympans. On commence par de la pop cambodgienne sur laquelle seulement quelques adultes dansent, un peu comme au mariage musulman auquel nous avions assisté à Riung en Indonésie. Puis c’est le tour des plus jeunes avec de la musique internationale. Tomy et Sako nous jettent dans la foule et nous dansons un bon moment au milieu des Cambodgiens de tous âges, ravis, exceptée une petite fille que la barbe de N. a fait éclater en sanglots, couverts par le rire de sa mère.
Sur le chemin du retour, Tomy et Sako nous font découvrir les desserts khmers à base de fruits. On goûte même un durian shake, boisson préférée de Sako. Pour J. ça ne passe toujours pas mais N. pourrait peut-être (on insiste sur le conditionnel) un jour apprécier ce fruit puant. A l’entrée du Banlung Balcony, Jean-Noëlle remercient chaleureusement Tomy et Sako pour leur invitation et cette géniale expérience, tout en promettant de les ajouter sur Facebook le soir-même.